Scattered Spider : Profil, techniques et impact d’un groupe cybercriminel

Je vous propose un article sur Scattered Spider qui est le nom attribué par un fournisseur de sécurité (CrowdStrike) à un groupe de cybercriminels apparu récemment dans le paysage de la cybercriminalité.

J’ai essayé de faire court mais on perd beaucoup trop d’information, je vous souhaite une bonne lecture

Actif depuis 2022, ce collectif à visée financière s’est hissé au rang des menaces majeures en combinant ingénierie sociale avancée, contournement de mécanismes d’authentification et attaques à grande échelle, notamment des campagnes de ransomware.

Dans un contexte géopolitique où les groupes de hackers ne se limitent plus à une région, Scattered Spider opère principalement depuis des pays occidentaux et cible des organisations du monde entier. Son approche illustre une évolution technologique marquante : l’exploitation des identités numériques et des failles humaines (aide technique externe, MFA, etc.) pour infiltrer même les entreprises dotées de solides mesures de sécurité. Cet article propose une analyse approfondie de Scattered Spider, de son historique et de ses méthodes, afin de mieux comprendre son fonctionnement et d’orienter les stratégies de défense.

Le plus surprenant est l’âge de ces adolescents, qui ont mis à mal des équipes de réponse aux incidents de grands groupes multinationaux.

Revenons sur les origines

Scattered Spider est apparu sur la scène en 2022. Les premiers signaux remontent à mai 2022, lorsque des attaques de phishing ciblées ont été attribuées à ce groupe (surnommé aussi “Oktapus” pour cette campagne initiale centrée sur le vol de comptes Okta). Au cours de l’année 2022, plus de six incidents impliquant Scattered Spider ont été recensés, ciblant notamment des sociétés d’externalisation dans le domaine des cryptomonnaies. En décembre 2022, une campagne majeure a visé des opérateurs de télécommunications et des prestataires de Business Process Outsourcing (BPO), démontrant déjà l’intérêt du groupe pour l’exploitation des accès fournis par des fournisseurs tiers.

En 2023, Scattered Spider a intensifié ses opérations et élargi son arsenal. C’est durant cette période qu’il commence à utiliser systématiquement des ransomwares pour monétiser ses intrusions, s’intégrant ainsi pleinement au modèle criminel du Ransomware-as-a-Service. Plusieurs attaques très médiatisées sont attribuées au groupe fin 2023, touchant par exemple des entreprises de premier plan telles que Transport for London, le casino MGM Resorts ou encore le fournisseur de paiements Caesars Entertainment. Ces succès ont contribué à faire de Scattered Spider l’une des cybermenaces les plus redoutées du moment.

L’expansion s’est poursuivie en 2024 vers des secteurs plus traditionnels. Au Royaume-Uni, la chaîne de distribution Marks & Spencer a été compromise, subissant une perte estimée à 300 millions de livres sterling (~355 millions d’euros) suite à la fuite de données et aux perturbations engendrées. Aux États-Unis et ailleurs, d’autres entreprises du retail, de la finance et de la technologie ont été affectées. En parallèle, les autorités ont pu identifier et arrêter certains membres présumés du groupe fin 2023 et début 2024 : plusieurs jeunes individus basés au Royaume-Uni et aux États-Unis ont été interpellés. Malgré ces actions judiciaires, le collectif est resté actif, signe d’une structure distribuée et résiliente.

En 2025, Scattered Spider a de nouveau diversifié ses cibles. Au mois de juin, le groupe s’en est pris au secteur de l’aviation civile, compromettant les systèmes internes des compagnies aériennes WestJet (Canada) et Hawaiian Airlines (États-Unis), et possiblement de Qantas (Australie) en juillet. S’attaquer à des infrastructures aussi critiques souligne la montée en ambition du groupe, ces entreprises disposant de données sensibles (informations clients, identifiants d’accès) et opérant des systèmes où la continuité de service est cruciale. Cette évolution récente témoigne de la capacité de Scattered Spider à adapter son champ d’action et à exploiter les secteurs les plus stratégiques. Le groupe continue d’évoluer en 2025, malgré la pression accrue des autorités et de la communauté de la sécurité.

Les Techniques, Tactiques et Procédures (TTPs)

Le groupe Scattered Spider s’appuie sur une combinaison de techniques d’ingénierie sociale sophistiquées et de procédés techniques pour compromettre ses cibles. Il exploite des failles humaines autant que des faiblesses technologiques, en couvrant de nombreuses tactiques répertoriées dans le cadre MITRE ATT&CK (reconnaissance, accès initial, persistance, mouvement latéral, exfiltration, impact, etc.). Parmi les TTPs clés observés chez Scattered Spider, on peut citer :

  • Reconnaissance ciblée : Avant l’attaque, les opérateurs de Scattered Spider mènent une collecte minutieuse d’informations sur la cible (open source intelligence). Ils étudient l’entreprise visée, sa structure interne, les technologies et outils qu’elle utilise (par exemple la présence d’un fournisseur d’authentification comme Okta), ainsi que ses prestataires techniques. Ces renseignements leur permettent de créer des scénarios d’hameçonnage très crédibles, adaptés à l’organisation cible et à ses employés.
  • Phishing et vishing élaborés : Pour obtenir un accès initial, le groupe envoie aux employés des liens vers de fausses pages de connexion imitant à la perfection les portails de l’entreprise (par exemple « entreprise-sso.com » ou « entreprise-okta.com »). Les vecteurs incluent l’e-mail, le SMS (smishing) et la messagerie instantanée. Une fois les identifiants saisis par la victime sur le site frauduleux, les attaquants enchaînent par des appels téléphoniques en se faisant passer pour le support informatique de l’entreprise (vishing). Grâce à des techniques de spoofing, leur numéro d’appelant semble légitime, ce qui renforce la crédibilité de la supercherie. Lors de ces appels, ils incitent l’employé à fournir des informations supplémentaires, à approuver des notifications d’authentification ou à installer un logiciel d’assistance à distance.
  • Contournement de l’authentification MFA : Même en présence d’une authentification multi-facteur, Scattered Spider a développé des méthodes pour la neutraliser. L’une des plus répandues est le « push bombing » (fatigue MFA) : bombarder la victime de sollicitations d’approbation d’accès jusqu’à ce que la victime, par lassitude ou par erreur, finisse par accepter. Les attaquants se font parfois passer pour le support durant cette opération afin de convaincre la cible de valider une demande. Dans certains cas plus ciblés, le groupe réalise un échange de carte SIM (SIM swapping) sur le numéro de mobile de la victime, détournant ainsi les codes de vérification à usage unique envoyés par SMS.
  • Persistance via outils d’administration à distance : Une fois un compte compromis, les intrus cherchent à établir un accès persistant difficile à détecter. Ils demandent souvent à l’utilisateur trompé d’installer un logiciel de support distant légitime comme AnyDesk, TeamViewer ou Pulseway (parfois également ScreenConnect). En abusant d’outils approuvés, ils obtiennent un accès direct aux postes sans déclencher d’alarme, et peuvent y revenir ultérieurement. Le groupe enregistre également ses propres appareils comme nouveaux jetons MFA sur les comptes compromis ou va jusqu’à intégrer un fournisseur d’identité fédéré malveillant dans l’environnement SSO de l’entreprise pour s’assurer un accès continu, y compris après des changements de mots de passe.
  • Vol d’identifiants et d’informations sensibles : Sur les machines compromises, Scattered Spider déploie des malwares voleurs d’information (infostealers) et des outils d’extraction de données. Parmi ceux observés figurent des trojans voleurs de mots de passe comme Vidar, Meduza ou ULTRAKNOT, et des chevaux de Troie d’accès à distance (RAT) comme AveMaria pour contrôler le système à distance. Le groupe utilise aussi des utilitaires post-exploitation bien connus des pentesters, tels que Mimikatz ou secretsdump.py, afin de dumper les mots de passe en mémoire, extraire les hashs des annuaires Active Directory (fichiers NTDS.dit) et récupérer des jetons d’accès ou cookies de session. Ces informations leur servent à étendre leur emprise sur le système.
  • Escalade de privilèges et mouvement latéral : Armés de comptes d’utilisateur compromis, les attaquants cherchent à obtenir des accès plus élevés (comptes administrateur, comptes cloud, etc.). Ils ciblent en priorité les comptes à privilèges (administrateurs IT, comptes sécurité, dirigeants) et exploitent la confiance interne des systèmes. Ils utilisent des outils d’administration standard (RDP, SSH, PsExec, connexions VPN internes, commandes Azure, etc.) pour se déplacer latéralement sur le réseau. Une tactique notable a consisté à ajouter leur propre fournisseur d’authentification dans le tenant cloud de la victime afin de s’attribuer des droits privilégiés de façon furtive. Dès qu’ils contrôlent un compte administrateur ou équivalent, ils peuvent accéder aux segments critiques du SI, y compris aux environnements cloud (infrastructures AWS, Azure, applications SaaS de l’entreprise), et désactiver des mécanismes de sécurité pour préparer la suite de l’attaque.
  • Exploitation des infrastructures cloud : Scattered Spider sait tirer parti des erreurs de configuration et des fonctionnalités natives du cloud pour progresser tout en restant discret. Par exemple, le groupe a été observé activant des services d’inventaire automatisé (tels qu’AWS Systems Manager) afin de cartographier les actifs et identifier des cibles pour le mouvement latéral dans le cloud. Il peut copier des données sensibles depuis des stockages cloud (bases de données, dépôts de code source, buckets de stockage type S3) vers des emplacements qu’il contrôle. Récemment, les attaquants ont aussi cherché systématiquement les accès à des entrepôts de données comme Snowflake afin d’exfiltrer en masse des volumes importants de données via des requêtes automatisées.
  • Exfiltration de données : Une fois les données sensibles localisées (par exemple des fichiers sur SharePoint, Google Drive/G Suite, des partages de fichiers internes, des sauvegardes, ou des boîtes mail), le groupe procède à leur extraction. L’exfiltration passe souvent par des services de stockage externes dans le cloud comme MEGA.nz ou des instances cloud sous leur contrôle (p. ex. un bucket AWS privé). Scattered Spider déploie également des outils de tunneling (tels que Chisel ou Plink) pour transférer discrètement les fichiers volés hors du réseau de la victime, parfois en les routant via des canaux chiffrés ou même des messageries chiffrées comme Telegram.
  • Chiffrement et double extorsion : Arrivé en phase finale, le groupe cherche à maximiser son profit par le chantage. Il déploie un ransomware sur les systèmes critiques, typiquement des variantes opérées en mode RaaS comme BlackCat/ALPHV, Qilin (Agenda), DragonForce ou RansomHub. Ces maliciels chiffrent les données et paralysent les services de l’entreprise. En parallèle, les attaquants menacent de publier les données précédemment exfiltrées, réalisant ainsi une double extorsion : la victime doit payer non seulement pour la clé de déchiffrement, mais aussi pour empêcher la divulgation de ses informations confidentielles. Cette stratégie place les organisations visées devant un dilemme coûteux et dangereux.
  • Évasion et adaptation constantes : Pour réduire les chances de détection, Scattered Spider abuse de techniques de Living-off-the-Land (LOTL), c’est-à-dire l’utilisation d’outils légitimes déjà présents dans le système (scripts PowerShell, utilitaires Windows, comptes légitimes compromis) plutôt que des malwares facilement identifiables. Le groupe a également recours à des procédés sophistiqués pour neutraliser les solutions de sécurité : par exemple, l’utilisation d’un driver noyau malveillant signé (nom de code POORTRY) ou même d’un bootkit UEFI tel que BlackLotus, capable de désactiver les antivirus/EDR dès le démarrage de la machine. Les opérateurs modifient fréquemment leurs TTPs pour éviter les indicateurs de compromission connus. Ils vont jusqu’à espionner activement la réponse de l’entreprise victime : il a été rapporté que Scattered Spider recherche dans les outils de communication interne (e-mails, messageries d’équipe comme Slack/Teams) toute mention de l’incident les impliquant, et qu’ils se joignent clandestinement aux réunions de crise et aux appels de réponse à incident. En comprenant les contre-mesures en cours, ils adaptent en temps réel leurs techniques d’intrusion, ce qui complique énormément le travail des défenseurs.

Cibles et secteurs affectés d’après les sources OSINT

Scattered Spider ne limite pas ses attaques à un domaine particulier. Au contraire, il pratique une forme de « big game hunting » opportuniste, s’en prenant aux grandes organisations dans de nombreux secteurs. Parmi les branches d’activité visées, on retrouve notamment :

  • Télécommunications et technologies : ce secteur a été particulièrement ciblé au début, par exemple lors des campagnes contre des opérateurs mobiles et des fournisseurs de solutions cloud ou d’authentification.
  • Commerce de détail et finance : les chaînes de magasins, les supermarchés et les entreprises de services financiers ont subi des attaques accrues lorsque Scattered Spider a commencé à déployer des ransomwares. Le vol de données clients et la perturbation des opérations y causent un impact financier direct.
  • Autres secteurs variés : le groupe ne dédaigne pas d’autres cibles pour autant. Des intrusions ont été constatées dans l’industrie manufacturière, l’hôtellerie (par ex. des casinos et hôtels), le secteur juridique, la santé, le secteur énergie, ou encore dans l’écosystème des cryptomonnaies. Cette diversité montre que tout environnement susceptible d’être monétisé ou de contenir des données sensibles peut devenir une cible.

En termes de profil d’entreprise, les victimes de Scattered Spider sont majoritairement de grande taille et possèdent une envergure internationale. Il s’agit souvent d’entreprises figurant parmi les plus importantes (Fortune 500 ou équivalent), disposant d’importants volumes de données et pour lesquelles une interruption de service se répercute lourdement. Cette orientation vers des « gros poissons » permet aux attaquants d’exiger des rançons élevées et d’exercer une pression maximale.

Du point de vue géographique, les attaques attribuées à Scattered Spider ont principalement touché des organisations en Amérique du Nord (États-Unis, Canada) et en Europe de l’Ouest (Royaume-Uni, France, Suisse, Allemagne, Italie notamment). Toutefois, le groupe a également frappé en Asie-Pacifique (par exemple en Australie, au Japon, en Inde ou en Corée du Sud) et en Amérique latine (Brésil). Cette portée internationale, inhabituelle pour un groupe criminel aussi jeune, illustre sa capacité à opérer globalement sans se heurter aux barrières linguistiques ou régionales.

Plusieurs incidents très médiatisés confirment l’ampleur de ces cibles. Outre les cas déjà cités (MGM, M&S, WestJet, etc.), on peut mentionner l’attaque contre Cloudflare (fournisseur de services internet), celle contre la plateforme de livraison DoorDash, ou encore des intrusions dans des enseignes britanniques prestigieuses comme Harrods et la coopérative Co-op. Chacune de ces attaques a compromis des données clients ou perturbé des opérations critiques, soulignant la menace que représente Scattered Spider pour l’ensemble des secteurs d’activité.

Quelques attributions et affiliations potentielles

Attribuer de manière certaine les activités de Scattered Spider à des individus précis demeure complexe, en partie en raison de la nature même du groupe. Scattered Spider fonctionne comme un collectif faiblement structuré, sans hiérarchie claire, où les participants vont et viennent. Les analyses de renseignement le comparent à d’autres groupes opportunistes comme LAPSUS$, connus pour impliquer de très jeunes hackers. De fait, plusieurs membres soupçonnés de Scattered Spider ont été arrêtés ces dernières années : en 2023, des enquêtes menées aux États-Unis et au Royaume-Uni ont conduit à l’interpellation de jeunes adultes (âgés de 17 à 22 ans) impliqués dans les attaques, et en 2025 trois ressortissants britanniques et un letton de moins de vingt ans ont également été appréhendés. Ces éléments laissent penser que le groupe est principalement composé de cybercriminels anglophones très jeunes, évoluant hors des bastions traditionnels de la cybercriminalité (il ne s’agit pas, par exemple, d’un groupe mafieux russe ni d’une unité liée à un État).

Différentes entreprises de sécurité ont suivi ce groupe sous des appellations variées, reflétant la difficulté de cerner son identité. Par exemple, CrowdStrike l’a baptisé Scattered Spider, tandis que Mandiant (Google) utilise l’ID UNC3944. Microsoft l’a listé sous le code Storm-0875 et d’autres alias circulent (tels que Muddled Libra, Octo Tempest, Scatter Swine ou Oktapus pour certaines campagnes). Le recours à de multiples pseudonymes complique l’analyse, mais l’ensemble de ces dénominations renvoie à un seul et même adversaire aux méthodes reconnaissables.

Sur le plan des affiliations criminelles, Scattered Spider apparaît profondément ancré dans l’écosystème des rançongiciels. Plutôt que de développer son propre ransomware, le groupe collabore avec des programmes de RaaS (Ransomware-as-a-Service) existants. Il a été notamment observé en lien avec les groupes opérant BlackCat/ALPHV, RansomHub, DragonForce et Qilin/Agenda – ce qui correspond aux familles de ransomwares qu’il déploie lors de ses attaques. En pratique, Scattered Spider agirait comme un affilié : il compromet les réseaux, vole les données, puis fait appel à ces franchises de ransomware pour chiffrer les systèmes et gérer l’extorsion. Ce modèle de partenariat illustre la nature opportuniste du groupe, qui maximise ses gains en tirant parti des plateformes criminelles existantes sans nécessairement leur être subordonné.

Enfin, des recoupements récents suggèrent que Scattered Spider cherche à s’associer avec d’autres collectifs de hackers célèbres pour amplifier son impact. À l’été 2025, des experts ont rapporté la formation d’une sorte d’alliance surnommée « Scattered LAPSUS$ Hunters », impliquant des membres de Scattered Spider aux côtés du groupe LAPSUS$ (connu pour ses attaques spectaculaires en 2022) et des hacktivistes de ShinyHunters (spécialisés dans les vols massifs de données). Cette collaboration inhabituelle, si elle se confirme, traduirait une évolution stratégique : Scattered Spider ne se cantonnerait plus aux intrusions discrètes pour rançonner en coulisse, mais participerait à des campagnes d’extorsion plus médiatiques et chaotiques, profitant de la notoriété de LAPSUS$ et des canaux de fuite de données de ShinyHunters. Pour le groupe, s’allier à de tels partenaires élargit la portée de ses attaques (notamment en termes de réputation et de diffusion des données volées) tout en tirant parti des compétences complémentaires de ces acteurs. Cela démontre la grande flexibilité de Scattered Spider et sa capacité à se remodeler en fonction des opportunités de la cybercriminalité contemporaine.

Les impacts et conséquences

Les attaques menées par Scattered Spider ont eu des répercussions sévères pour les organisations visées. Sur le plan financier, les coûts engendrés sont souvent très élevés : il faut compter les rançons potentielles (certaines victimes ont cédé à l’extorsion et versé des millions de dollars), les pertes d’exploitation dues à l’interruption des systèmes, et les dépenses liées à la réponse à incident (analyses forensiques, restauration des données, renforcement des mesures de sécurité). Par exemple, la compromission de Marks & Spencer en 2024 s’est traduite par une perte directe évaluée à plus de 350 millions d’euros. De même, l’attaque contre la chaîne de casinos MGM Resorts a provoqué la paralysie de ses hôtels et casinos pendant plusieurs jours, entraînant un manque à gagner considérable et un retour à des opérations manuelles.

Au-delà de l’impact financier immédiat, ces intrusions entraînent des atteintes à la réputation des entreprises touchées. La publication de données sensibles (par exemple des informations clients, des contrats ou des codes sources) peut entamer la confiance des clients et partenaires, et exposer la société à des poursuites juridiques ou à des sanctions réglementaires (notamment en cas de violation de données personnelles sous GDPR ou autres régulations). Les secteurs critiques visés (transport, finance, santé, etc.) subissent en outre un impact sociétal potentiel : une attaque sur une compagnie aérienne ou un opérateur de transport peut perturber des milliers de personnes et mettre en lumière des faiblesses systémiques.

Ces incidents ont aussi mis en évidence la difficulté de défendre contre un adversaire aussi rusé. Les méthodes de Scattered Spider exploitent des failles humaines difficiles à éliminer complètement (erreur, confiance mal placée) et contournent les mesures techniques traditionnelles. Le fait que le groupe parvienne à infiltrer les communications internes des équipes de réponse ajoute une couche de complexité, retardant la remédiation et augmentant le stress opérationnel pour le personnel de sécurité. Chaque jour supplémentaire de perturbation accroît le préjudice économique et la pression pour payer la rançon.

À l’échelle globale, la campagne de Scattered Spider a constitué un électrochoc pour la communauté de la cybersécurité. Elle a démontré qu’une petite cellule de hackers déterminés, armés surtout de téléphone et de ruse, pouvait mettre en échec des multinationales pourtant bien dotées en protections. Cette prise de conscience a poussé de nombreuses organisations à revoir en urgence leurs procédures (par exemple en renforçant l’authentification ou les protocoles des helpdesks) et a incité les autorités à intensifier la coopération internationale pour traquer ces cybercriminels. En résumé, les conséquences des actions de Scattered Spider se mesurent non seulement en dommages directs, mais aussi en transformations durables des pratiques de sécurité et en une vigilance accrue face aux attaques de social engineering.

Les mesures de réponses et contre-mesures

La gravité des campagnes de Scattered Spider a poussé tant les organisations privées que les agences gouvernementales à renforcer leurs défenses. Sur la base des analyses et recommandations publiées (notamment par le CISA, le NCSC britannique et des chercheurs en cybersécurité), plusieurs mesures s’imposent pour contrer ce type de menace :

  • Renforcer les protocoles des centres d’assistance (helpdesk) : Les procédures de réinitialisation de mot de passe ou d’authentification doivent intégrer des vérifications d’identité rigoureuses. Par exemple, exiger une validation par un superviseur ou un rappel sur le numéro officiel de l’employé avant tout changement critique. Former le personnel IT et support à repérer les tentatives d’usurpation (appels suspects, insistance inhabituelle, langage approximatif) et instaurer un code de sécurité interne pour authentifier les communications légitimes du support peuvent empêcher les attaques par social engineering visant le helpdesk.
  • Déployer une authentification multifactorielle résistante au phishing : Il est recommandé de remplacer les méthodes MFA vulnérables (comme les notifications push simples ou les codes SMS) par des solutions incassables par harponnage. L’utilisation de clés de sécurité matérielles suivant le standard FIDO2/WebAuthn ou du mécanisme de numéro aléatoire à confirmer sur l’application (number matching) rend quasi impossible le vol ou l’approbation forcée d’un second facteur. Toutes les applications critiques (VPN, messageries, accès cloud) devraient exiger ce MFA renforcé. En parallèle, sensibiliser les utilisateurs aux attaques de fatigue MFA et leur demander de signaler toute avalanche de notifications anormales plutôt que de les accepter protège contre le push bombing.
  • Limiter l’usage d’outils d’accès distant et contrôler leur usage : Étant donné que Scattered Spider abuse d’outils légitimes comme AnyDesk ou TeamViewer, les entreprises doivent mettre en place une politique d’autorisation des logiciels de prise en main à distance. Inventorier les solutions approuvées et bloquer par défaut l’installation ou l’exécution d’autres outils de remote desktop (via de l’allow listing applicatif) permet de réduire la surface d’attaque. Un examen régulier des journaux d’exécution peut aider à détecter l’utilisation anormale de ces programmes (par exemple un exécutable d’assistance lancé depuis un répertoire temporaire). Il est aussi recommandé de restreindre les accès RDP/VPN aux seuls usages nécessaires : fermer les ports RDP non utilisés, imposer le MFA sur les connexions, définir des plages d’horaires autorisées et surveiller les tentatives de connexion échouées.
  • Améliorer la surveillance des comptes et des accès : Les défenseurs doivent configurer des alertes sur les signes d’activité suspecte liés aux comptes utilisateurs. Par exemple, détecter les « connexions à risque » (tentatives depuis des localisations inhabituelles ou des appareils non reconnus, enchaînements rapides d’échecs de login, enregistrement de nouveaux appareils MFA ou création de nouveaux comptes administrateurs). Une attention particulière doit être portée aux comptes à haut privilège et aux accès des prestataires externes (qui furent exploités par Scattered Spider). Des solutions de détection et réponse endpoint (EDR) et de surveillance du réseau peuvent aider à identifier un comportement anormal correspondant à des mouvements latéraux ou à de l’exfiltration de données (par ex. transferts massifs vers un cloud public).
  • Renforcer la posture de sécurité globale : Comme toujours, les bonnes pratiques fondamentales jouent un rôle essentiel pour limiter l’impact d’une attaque réussie. Il s’agit notamment de :
    • Maintenir les systèmes et logiciels à jour : appliquer rapidement les correctifs, en priorisant les vulnérabilités connues exploitées activement.
    • Segmenter le réseau : cloisonner les différentes zones (par exemple séparer les segments utilisateurs, serveurs sensibles, sauvegardes, environnements OT) afin de ralentir la progression de l’attaquant et d’éviter qu’un compte compromis ne donne accès à tout le SI.
    • Sauvegarder régulièrement les données critiques et conserver des copies de sauvegarde hors ligne (déconnectées du réseau), tout en testant périodiquement la restauration. Des backups immuables et chiffrés peuvent assurer une reprise d’activité même si des systèmes sont chiffrés par ransomware.
    • Appliquer des politiques robustes de mots de passe : imposer des mots de passe longs et uniques, stockés de façon sécurisée, éviter les changements trop fréquents (qui favorisent les schémas prévisibles) et désactiver les comptes et accès non utilisés pour réduire les opportunités d’abus.
    • Former et entraîner les équipes : poursuivre les efforts de sensibilisation des employés aux attaques par phishing/vishing. Organiser des exercices de simulation (ex. exercices Red Team ou drills de réponse à incident) incluant des scénarios d’attaques type Scattered Spider (usurpation d’identité, compromission d’Active Directory, etc.) afin de tester la réaction de l’organisation et d’affiner les plans de réponse.
  • Coopérer avec les autorités et le partage d’information : Étant donné la dimension internationale de Scattered Spider, la coopération est cruciale. Les entreprises ciblées sont encouragées à alerter rapidement les autorités compétentes (par ex. l’ANSSI/CERT-FR en France, le FBI/CISA aux États-Unis) et à partager les indicateurs de compromission (adresses IP, domaines d’hameçonnage, empreintes de malwares) via les réseaux de confiance. Cette démarche collective aide à tracer les attaquants, à prévenir d’autres victimes potentielles et à enrichir la base de renseignement sur leurs tactiques. Des conseils actualisés (tels que les bulletins du CISA AA23-320A) fournissent aux défenseurs une cartographie des techniques de Scattered Spider et des mesures de mitigations spécifiques, qu’il convient de consulter et d’intégrer régulièrement.

Si on devait faire une conclusion

Le cas de Scattered Spider illustre de façon emblématique l’évolution de la cybercriminalité moderne. En à peine quelques années, ce groupe a réussi à bousculer le paysage des menaces, prouvant que l’ingéniosité sociale couplée à la connaissance technique peut contourner des infrastructures de sécurité pourtant robustes. Il rappelle aux responsables de la sécurité (CISO, CERT, SOC) que la protection des organisations ne peut se limiter aux pare-feux et aux antivirus : l’humain est devenu la cible première, et les processus internes (comme le support IT ou la gestion des identités) doivent être tout aussi sécurisés que les systèmes eux-mêmes.

Comprendre en profondeur le mode opératoire de Scattered Spider est crucial pour anticiper les prochaines attaques de ce genre. Chaque tactique employée – du harponnage téléphonique à l’exploitation du cloud – offre une leçon sur les faiblesses à combler et les angles morts de nos stratégies défensives. Ce groupe étant particulièrement agile et imprévisible, il oblige les défenseurs à adopter une posture proactive, en surveillant en continu les indicateurs de compromission et en testant régulièrement la résilience de leur organisation face à des scénarios réalistes d’intrusion.

Si Scattered Spider demeure actif malgré des arrestations, c’est qu’il s’appuie sur une communauté informelle de hackers capable de se reconstituer et de s’adapter. Il faut s’attendre à ce que ce groupe (ou ses émules) continue d’affiner ses techniques ou d’en adopter de nouvelles à l’avenir – par exemple en exploitant d’autres failles humaines ou en tirant parti de technologies émergentes pour rester sous le radar. La recherche académique et la veille cyber permettent de suivre ces évolutions : elles sont indispensables pour développer des solutions innovantes, qu’il s’agisse de systèmes d’authentification plus fiables, d’IA capable de détecter les anomalies comportementales, ou de méthodologies pour mieux former les utilisateurs à repérer la supercherie.

En définitive, Scattered Spider est un adversaire redoutable mais également une source d’enseignements. L’attention qu’il suscite – des blogs spécialisés jusqu’aux bulletins d’alerte officiels – témoigne de l’importance de partager les connaissances et les retours d’expérience face à une menace commune. En tirant les conclusions de chaque incident et en renforçant collectivement nos défenses, la communauté cybersécurité pourra réduire l’impact de ce type d’attaques. La lutte est asymétrique, mais en restant informés, agiles et solidaires, les défenseurs pourront contrer même les attaques les plus élaborées de groupes comme Scattered Spider.

En espérant que cet article vous sera utile.

Enjoy !

Sources
Varonis Blog : https://www.varonis.com/fr/blog/scattered-spider
Sysdream Blog : https://sysdream.com/blog/rapport-scattered-spider/
CISA (AA23-320A) – Source primaire : https://www.cisa.gov/news-events/cybersecurity-advisories/aa23-320a
Vectra Threat Actors (Scattered Spider) : https://fr.vectra.ai/modern-attack/threat-actors/scattered-spider