La Cyber Threat Intelligence (CTI) repose sur une collecte et une analyse rigoureuses des informations liées aux menaces cybernétiques. L’un des aspects clés de cette discipline est la compréhension des attaquants, de leurs motivations, de leurs ressources et de leurs techniques. Pour cela, l’identification et l’exploitation des sources de données adverses sont essentielles.
Dans cet article, nous explorons les différentes sources permettant de collecter des informations sur les adversaires, leurs tactiques et leurs objectifs. Cette approche contribue à affiner la modélisation des menaces (Threat Modeling) et à renforcer la posture de sécurité des organisations.
1. Pourquoi collecter des données adverses ?
La collecte de données sur les adversaires permet aux équipes de cybersécurité de mieux anticiper les cyberattaques en comprenant :
- Qui sont les attaquants potentiels (groupes APT, cybercriminels, hacktivistes, insiders malveillants).
- Leurs objectifs (espionnage, sabotage, fraude financière, destruction de données).
- Leurs capacités et ressources (outils, infrastructures, financement).
- Leurs tactiques, techniques et procédures (TTPs) afin d’identifier les schémas d’attaque récurrents.
L’exploitation de ces informations permet d’adopter une approche proactive en adaptant les stratégies de défense avant qu’une attaque ne survienne.
2. Les principales sources de collecte de données adverses
Différentes sources de renseignements peuvent être exploitées pour collecter des données sur les cybermenaces. Ces sources peuvent être classées en plusieurs catégories :
2.1. Sources ouvertes (OSINT – Open Source Intelligence)
L’OSINT regroupe les informations accessibles publiquement qui permettent d’identifier des indicateurs de menace :
- Forums et dark web : échanges entre cybercriminels sur des places de marché illicites.
- Réseaux sociaux : profils d’acteurs malveillants, tendances et discussions sur des attaques en cours.
- Rapports de cybersécurité : analyses de menaces publiées par des entreprises spécialisées (Mandiant, CrowdStrike, Cisco Talos).
- Bulletins de vulnérabilités : bases de données CVE, rapports MITRE ATT&CK.
- Blogs et publications académiques : recherches sur les nouvelles techniques d’attaque.
2.2. Sources techniques et télémétrie réseau
L’analyse des activités réseau et des infrastructures peut révéler des indices sur des activités malveillantes :
- Logs de pare-feu et IDS/IPS : détection d’anomalies et de connexions suspectes.
- Flux NetFlow et DNS : analyse du trafic pour repérer des C2 (Command and Control).
- Signatures de malwares : identification des échantillons de codes malveillants et de leurs variants.
- Honeypots et sandboxes : pièges numériques simulant des systèmes vulnérables pour observer les attaquants.
2.3. Renseignements issus des menaces internes
Les menaces internes (insiders malveillants ou négligents) peuvent être identifiées par :
- Surveillance des comportements utilisateurs (UEBA) : détection d’activités inhabituelles.
- Audit des accès et privilèges : contrôle des mouvements suspects au sein des systèmes sensibles.
- Alertes et signalements internes : remontées d’informations par les collaborateurs.
2.4. Sources gouvernementales et collaboration avec les acteurs privés
Les renseignements issus d’organismes spécialisés et de collaborations entre entreprises sont aussi précieux :
- Agences gouvernementales : CISA, ANSSI, Europol fournissent des alertes sur les cybermenaces émergentes.
- Partage d’IOC (Indicators of Compromise) : via des plateformes comme MISP (Malware Information Sharing Platform).
- Partenariats intersectoriels : échanges d’informations entre entreprises d’un même secteur pour anticiper les attaques ciblées.
3. Exploitation des données adverses dans le Threat Modeling
Une fois les informations collectées, elles doivent être intégrées dans un modèle de menaces structuré. Voici les principales étapes :
3.1. Comprendre l’organisation et son environnement de menace
Avant d’analyser les adversaires, il est essentiel de cartographier son propre environnement :
- Identifier les actifs critiques (données sensibles, infrastructures stratégiques).
- Déterminer les vulnérabilités potentielles.
- Évaluer la surface d’attaque (points d’entrée exploitables par les attaquants).
3.2. Profilage des adversaires
En fonction des données collectées, il est possible de construire un profil type des attaquants :
- Leurs motivations : cybercriminalité financière, espionnage, destruction.
- Leurs ressources : capacités techniques, soutien financier.
- Leurs cibles privilégiées : quels types d’entreprises et d’infrastructures visées ?
- Leurs contraintes : limitations réglementaires, restrictions technologiques.
3.3. Identification des techniques et tactiques adverses
L’adoption de frameworks comme MITRE ATT&CK permet d’analyser les TTPs (Tactics, Techniques & Procedures) des adversaires. Cette approche aide à :
- Repérer les méthodes d’intrusion utilisées.
- Identifier les moyens de persistance après compromission.
- Comprendre les mécanismes d’exfiltration de données.
3.4. Développement d’un plan de défense et de réponse
Les informations sur les adversaires doivent permettre de concevoir des mesures de protection et de réponse aux incidents :
- Renforcement des contrôles de sécurité : segmentation réseau, détection comportementale.
- Détection avancée des attaques : mise en place de règles de corrélation SIEM.
- Plans de réponse aux incidents : simulations et exercices de Red Team.
4. Défis et limites de la collecte des données adverses
Bien que la collecte d’informations sur les attaquants soit cruciale, elle présente certains défis :
- Fiabilité des sources : nécessité de vérifier et de croiser les données pour éviter la désinformation.
- Respect des réglementations : certaines pratiques de renseignement offensif peuvent être juridiquement encadrées.
- Volatilité des menaces : les tactiques adverses évoluent rapidement, rendant certaines informations rapidement obsolètes.
Malgré ces défis, une approche bien structurée de Cyber Threat Intelligence permet d’améliorer considérablement la capacité de défense des organisations.
En conclusion
L’identification des sources de collecte de données adverses est un levier stratégique pour renforcer la sécurité des organisations face aux menaces cybernétiques. En combinant renseignements open-source, données techniques, analyses internes et collaborations externes, les experts en cybersécurité peuvent anticiper les attaques et adapter leurs défenses en conséquence.
Le Threat Modeling basé sur les adversaires constitue ainsi une méthode efficace pour évaluer et réduire les risques. Dans un environnement où les menaces évoluent constamment, l’intégration de la Cyber Threat Intelligence dans les stratégies de cybersécurité est indispensable pour garantir une protection optimale.
Sources :
Les sources que j’ai utilisées pour cet article sur la collecte des données adverses en Cyber Threat Intelligence sont :
Livres et publications académiques :
- Ozkaya, Dr. Erdal. Practical Cyber Threat Intelligence: Gather, Process, and Analyze Threat Actor Motives, Targets, and Attacks with Cyber Intelligence Practices. BPB Publications
- Shostack, Adam. Threat Modeling: Designing for Security. Wiley, 2014.
- NIST (National Institute of Standards and Technology). Guide for Conducting Risk Assessments. NIST Special Publication 800-30 Rev. 1.
Rapports et frameworks spécialisés :
- MITRE ATT&CK Framework. https://attack.mitre.org
- OWASP Threat Modeling Methodologies. https://owasp.org/www-community/Threat_Modeling
- CISA (Cybersecurity & Infrastructure Security Agency). Rapports de veille et bulletins de vulnérabilités. https://www.cisa.gov/
- Europol Internet Organised Crime Threat Assessment (IOCTA). https://www.europol.europa.eu/activities-services/main-reports/internet-organised-crime-threat-assessment-iocta
- MISP (Malware Information Sharing Platform). https://www.misp-project.org/
Sources techniques et OSINT :
- SANS Internet Storm Center. https://isc.sans.edu/
- Shadowserver Foundation – Cyber Threat Intelligence. https://www.shadowserver.org/
- Dark Web Intelligence Reports (via Kaspersky, Recorded Future, Digital Shadows).